les carnets de JJS, page 14
La Fille de Jade, tisserandes et fileuses
En étudiant le symbolisme de la toile d’araignée, on s’aperçoit que, si les fils de chaîne sont convergents, ils s’insèrent alors dans un cadre géométrique qui sort du contexte euclidien pour concevoir une source au tissage. Cette représentation n’est pas éloignée de celle du labyrinthe, d’autant plus que le fil de trame, alors, est plutôt spiralé et s’apparente au trajet du fil dévidé.
La fileuse de la carte du Neijing Tu1 s’inscrit dans cette représentation là, ce qui fait de la fileuse la sœur aînée de la tisserande. L’araignée sécrète tout d’abord son fil à partir de sa propre substance, puis élabore la chaîne de sa toile en rayonnant depuis le centre, et tourne ensuite en chemin spiralé, les spires étant de plus en plus espacées, pour dévider le fil de trame.
Si nous nous attardons sur ce symbolisme, c’est qu’il donne un superbe éclairage sur la pratique du taichichuan, mais aussi s’appuie sur une universalité de formes, mythes et imageries qui confèrent à notre pratique une légitimité qui s’affranchit de son cadre exotique.
Alors on va pouvoir collecter de nombreuses sources se répondant en écho : Les Déesses du Proche Orient antique, hittites, sumériennes qui sont responsables du déroulement du temps et des vies sont souvent représentées comme des fileuses munies de leurs fuseaux et quenouilles.
Dans la cosmogonie de l’Egypte ancienne, la Déesse Primordiale est Neith, la Vierge Cosmique, la grande tisseuse du monde. « Deux choses sont remarquables dans son œuvre, la substance et le mouvement » précise Her-Bak le jeune initié comme pour témoigner de la différence de nature entre les fils de chaîne et de trame 2. Son hiéroglyphe comporte une navette de métier à tisser ; elle tisse le monde : elle en détermine les limites avec sept tissus puis, avec sept paroles, elle engendre l’univers.
Les Grecs honoraient les Moires, fileuses du destin, devenues Parques dans la mythologie romaine. Présidant aux rythmes de la vie, elles veillent sur l’harmonie du monde et les destinées individuelles. Tous les grands héros de la mythologie grecque ou romaine leur firent allégeance et s’en remirent à leur pouvoir, Hercule, Thésée, Orphée, Ulysse.
A Atropos, la plus vieille, celle qui tient les fameux ciseaux qui coupent le fil de la vie, on préfèrera Clotho parce que c’est elle qui tient la grande quenouille qui va du ciel à la terre, qu’elle la fait tourner, vêtue de sa robe aux couleurs de l’arc-en-ciel et couronnée par les sept étoiles de la Grande Ourse.
Imaginons Clotho, avec Pénélope et l’innombrable ribambelle des fileuses et tisseuses célestes, danser main dans la main avec la Fille de Jade, au-dessus de nos têtes, quand nous dévidons nos postures en glissant nos propres pas sur l’orbe terrestre.
Jean-Jacques Sagot
1 Voir la Carte de la Culture de perfection dans l’ouvrage de Catherine Despeux « Taoïsme et connaissance de soi » 2012
2 « Her Bak, Pois Chiche » le jeune initié égyptien d’Isha Schwaller de Lubicz 1955
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